Présentation de la loi Duplomb
La loi Duplomb, adoptée au Parlement début juillet, visait notamment à réintroduire sous conditions l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes interdit en France depuis 2018, mais autorisé dans d'autres pays européens jusqu'en 2033. La proposition avait recueilli le soutien du gouvernement ainsi que de certains groupes parlementaires issus du centre, de la droite et de l'extrême droite. Son adoption répondait en partie au contexte des grandes mobilisations agricoles en 2024, et avait pour objectif de faciliter l’usage de certains produits phytopharmaceutiques, soutenir l’agrandissement des exploitations d’élevage et simplifier la construction d’ouvrages de stockage d’eau à finalité agricole.
Saisine du Conseil constitutionnel et mobilisation citoyenne
L'initiative de réintroduire l’acétamipride a suscité une vaste contestation, comprenant une pétition citoyenne qui a rassemblé plus de 2,1 millions de signatures, ainsi que la mobilisation de diverses organisations scientifiques et syndicales. Des partis politiques, principalement issus de la gauche, ont saisi le Conseil constitutionnel pour contester la conformité de plusieurs articles de la loi avec la Constitution.
Décision du Conseil constitutionnel
Le 7 août, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 2 de la loi, relatif à la réintroduction de l’acétamipride. Il a fondé sa décision principalement sur la Charte de l’environnement, intégrée à la Constitution française en 2005 et disposant d'une valeur constitutionnelle. Le Conseil a invoqué l’article 1 de la Charte — affirmant le droit de chaque personne à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé — et l’article 2, relatif au devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.
Les sages ont estimé que la dérogation prévue par la loi manquait de limitation temporelle, n’était pas restreinte à une filière spécifique et autorisait des modalités de pulvérisation susceptibles d’augmenter le risque de dispersion du produit, ce qui priverait de garanties légales le droit protégé par la Charte. Le Conseil constitutionnel a souligné les incidences des néonicotinoïdes sur la biodiversité, notamment sur les pollinisateurs et les oiseaux, ainsi que les risques pour la santé humaine.
Validation et réserves sur d’autres dispositions
Outre la censure de la disposition sur l’acétamipride, le Conseil a validé la plupart des autres mesures de la loi Duplomb. Les dispositions concernant le soutien aux élevages et la construction d’ouvrages de stockage d’eau à usage agricole ont été approuvées, sous réserve de ne pas permettre de prélèvement dans des nappes inertielles et d’assurer que ces mesures puissent faire l’objet d’un recours juridictionnel. Le Conseil a enfin validé la procédure parlementaire d’adoption du texte, estimant qu'elle n’a pas enfreint le droit d’amendement ni les exigences de clarté et de sincérité du débat législatif.
Réactions politiques et syndicales
La décision a suscité de nombreuses réactions dans la classe politique et le secteur agricole. Si certains représentants de la gauche et d’ONG environnementales ont salué la censure comme une avancée pour la protection de l’environnement, des responsables syndicaux agricoles et plusieurs élus de droite ou du centre ont exprimé leur inquiétude concernant la compétitivité de l’agriculture française par rapport aux autres pays européens où l'acétamipride reste autorisé.
Le président de la République, Emmanuel Macron, a indiqué qu’il promulguerait la loi modifiée conformément à la décision du Conseil. Parallèlement, le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a appelé à une réévaluation au niveau européen de l’impact sanitaire de l’acétamipride, évoquant la nécessité d’une harmonisation des normes de précaution au sein de l’Union européenne.
Portée juridique et environnementale de la décision
Cette décision marque une application notable et autonome de la Charte de l’environnement par le Conseil constitutionnel, qui a rarement censuré une disposition législative sur ce fondement depuis son intégration dans la Constitution en 2005. Elle s’inscrit dans un contexte judiciaire et normatif qui tend à renforcer l’exigence de protection de l’environnement dans la hiérarchie des normes françaises. Plusieurs spécialistes en droit public estiment que cette jurisprudence pourrait servir de référence à l’avenir pour d’autres contentieux relatifs à l’environnement.
Perspectives
À la suite de la censure, certains responsables politiques ont envisagé la possibilité de rédiger un nouveau texte conforme aux critères fixés par le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, des discussions persistent quant à la possibilité d’une meilleure coordination européenne sur les produits phytosanitaires afin de limiter les risques de concurrence entre filières agricoles face à des réglementations divergentes.