Introduction
Les cancers dits « hormonodépendants » ou « hormonosensibles » sont ceux où les hormones influencent la prolifération des cellules cancéreuses. Ces cancers se développent notamment dans des tissus intimement liés aux fonctions hormonales, tels que les cancers de la prostate, du sein, de l’endomètre, de la thyroïde ou de l’ovaire, représentant environ 20 % des cas mondiaux.
Toutefois, de nouvelles recherches menées par des scientifiques français de l’Institut Curie, de l’Inserm et du CNRS révèlent que d'autres cancers, historiquement non classés comme hormonodépendants, pourraient aussi être influencés par les œstrogènes, hormones sexuelles féminines.
Une nouvelle compréhension des cancers non hormonodépendants
L’étude, publiée le 11 juin dans la revue Nature, identifie cette influence hormonale dans des cancers tels que le mélanome, le cancer gastrique ou le cancer de la thyroïde. Le mélanome, par exemple, est plus fréquemment observé chez les femmes entre la puberté et la ménopause, comparé aux hommes du même âge. Les dermatologues avaient empiriquement observé une incidence accrue de mélanomes chez ces femmes, notamment post-grossesse.
Découverte d'une boucle métastatique influencée par les hormones
Les chercheurs ont découvert une voie de signalisation moléculaire inédite et hormonalement dépendante. Cette boucle de régulation implique des acteurs moléculaires clés tels que ESR1 (le récepteur aux œstrogènes) qui déclenche l’induction du récepteur GRPR (récepteur de peptide libérant la gastrine), activant la voie pro-métastatique YAP1, laquelle réprime la E-cadhérine (ECAD), une protéine d’adhésion cellulaire essentielle. La réduction d’ECAD facilite la progression tumorale et, en un cercle vicieux, maintient l’activité de cette boucle.
Cette boucle joue un rôle dans la croissance tumorale, la migration cellulaire vers d'autres organes (métastases) et la résistance à l’anoïkis, un processus de mort cellulaire devant normalement protéger contre les métastases. Chez les femmes, ce mécanisme dépend de l’action des œstrogènes sur le récepteur ESR1.
Perspectives thérapeutiques
GRPR, un élément clé de cette boucle, fait partie des récepteurs couplés aux protéines G, bien qu’encore sous-étudiés en oncologie, ces récepteurs représentent une proportion significative des cibles pharmaceutiques actuelles. L’administration d’antagonistes de GRPR dans des modèles précliniques a montré une réduction des métastases, soulignant le potentiel de GRPR comme cible thérapeutique.
La mise en œuvre de thérapies combinées ciblant les oestrogènes pourrait être une stratégie pertinente pour traiter les mélanomes et d’autres cancers impliquant cette boucle métastatique.
Conclusion
Cette étude éclaire l’importance des facteurs hormonaux dans le développement des cancers, remettant en cause certaines classifications traditionnelles et ouvrant la voie à de nouvelles approches thérapeutiques, particulièrement adaptées à la médecine de précision pour les femmes. Elle souligne également l’importance d’intégrer ces connaissances dans la prévention, le diagnostic et le traitement des cancers, tout en mettant en évidence les différences significatives selon le sexe et l’âge.
Le Dr Lionel Larue, directeur de recherche à l’Inserm, souligne l'impact potentiel de ces découvertes pour améliorer la prise en charge spécifique des patientes à travers des traitements innovants fondés sur les caractéristiques biologiques et hormonales des cancers.