Décision judiciaire
Le tribunal judiciaire d'Évry a rejeté les demandes de la fédération des services CFDT visant à faire cesser les transferts de magasins de Carrefour en location-gérance et à obtenir des indemnités pour les salariés. La CFDT avait engagé la procédure en mars 2024 et réclamait 23 millions d'euros. Le jugement a estimé que le syndicat n'avait pas établi, de manière suffisamment probante, l'existence d'un abus du droit d'entreprendre de la part du groupe Carrefour et n'a pas démontré de façon circonstanciée et objective un lien entre ces transferts et une dégradation des conditions de travail ou le développement de risques psychosociaux.
Contexte et mécanisme de la location-gérance
La location-gérance est une modalité juridique par laquelle un distributeur conserve la propriété du fonds de commerce tandis que l'exploitation est confiée à un gérant indépendant. Selon le groupe, ce mécanisme, de même que la franchise, permet de maintenir une présence commerciale locale tout en transférant une part des coûts d'exploitation à des exploitants indépendants et en retirant certains magasins déficitaires des comptes du groupe.
Depuis l'arrivée d'Alexandre Bompard à la direction de Carrefour en 2017, le recours à la franchise et à la location-gérance s'est accru. La CFDT indique que, depuis 2018, 344 supermarchés et hypermarchés ont basculé en location-gérance, ce qui concernerait environ 27 000 salariés. Le groupe affirme, pour sa part, que ce modèle a contribué à préserver des points de vente et des emplois dans un contexte concurrentiel.
Arguments et réactions des parties
La CFDT a annoncé son intention de faire appel du jugement et conteste l'appréciation des faits retenue par le tribunal. Le syndicat dénonce une dépendance économique des entreprises en location-gérance et en franchise vis-à-vis de Carrefour et affirme que ces transferts ont entraîné une dégradation des conditions de travail dans certains magasins, en citant notamment une mise en demeure de l'inspection du travail visant un magasin d'Étampes.
Carrefour a déclaré que la décision confirme la légalité du recours à la location-gérance et à la franchise, tant dans leur principe que dans leurs modalités. Le groupe a précisé que ces passages pourraient se poursuivre en 2026.
Litiges connexes et évolution de l'actionnariat
D'autres contentieux commerciaux sont en cours. L'Association des franchisés Carrefour (AFC) a assigné le groupe devant le tribunal de commerce de Rennes fin 2023, dénonçant une relation commerciale déséquilibrée. Le ministère de l'Économie a recommandé l'imposition d'une amende dont le montant proposé atteindrait 200 millions d'euros. Par ailleurs, le groupe a annoncé l'entrée de la famille Saadé au capital à hauteur de 4 %, opération présentée comme visant à stabiliser l'actionnariat.
Suite procédurale et enjeux
La CFDT a indiqué son intention d'interjeter appel de la décision de première instance. Tant que les recours sont pendants, les transferts en location-gérance et en franchise peuvent se poursuivre. La décision d'Évry n'a pas tranché de manière définitive la question d'un possible abus de droit lié à la stratégie de développement par location-gérance, laissant ouverte la discussion judiciaire sur la protection des salariés et l'équilibre des relations commerciales dans la grande distribution.








