Introduction
La croyance selon laquelle les gauchers seraient, en moyenne, plus créatifs que les droitiers est largement répandue. Elle s’appuie sur des figures historiques ou culturelles reconnues pour leur créativité, telles que Léonard de Vinci, David Bowie, Marilyn Monroe ou Albert Einstein, identifiés comme gauchers. Les gauchers représentent environ 10 % de la population mondiale.
Hypothèses sur la pensée divergente et la latéralisation
L’idée d’un avantage créatif des gauchers repose souvent sur la notion de pensée divergente, c’est‑à‑dire la capacité à générer de multiples solutions face à un problème donné, dimension fréquemment mobilisée pour évaluer la créativité. Certaines théories attribuent cet avantage supposé à une dominance de l’hémisphère droit du cerveau chez les gauchers, hémisphère parfois associé à des capacités créatives. Toutefois, ce lien direct entre latéralisation cérébrale et créativité demeure controversé et ne fait pas l’objet d’un consensus scientifique.
Résultats des études scientifiques récentes
Une équipe dirigée par Daniel Casasanto, professeur associé à l’Université Cornell et directeur du Experience and Cognition Lab, a conduit une méta‑analyse approfondie. Les chercheurs ont initialement recensé près de 1 000 études publiées depuis le début du XXe siècle. La majorité a été écartée pour des raisons méthodologiques (absence de standardisation, échantillons exclusivement droitiers, mesures non comparables). Au final, 17 études ont été jugées suffisamment robustes pour être analysées.
Les résultats, publiés dans la revue Psychonomic Bulletin & Review, indiquent l’absence d’un avantage global de créativité lié à la latéralité manuelle. Mesurée notamment via des tests de pensée divergente, la créativité ne diffère pas significativement entre gauchers et droitiers. Dans certains cas, un léger avantage des droitiers apparaît selon la tâche considérée, sans effet généralisable.
Répartition professionnelle et créativité
Les auteurs ont également réanalysé une vaste enquête menée aux États‑Unis, portant sur 12 000 personnes réparties dans 770 professions. Les métiers ont été classés selon leur intensité créative sur la base de critères tels que l’originalité et le raisonnement inductif.
Cette analyse met en évidence une sous‑représentation des gauchers dans les professions considérées comme les plus créatives, à l’exception notable de l’art et de la musique. Aucun effet généralisé de la latéralité sur la créativité professionnelle n’est observé lorsque l’on considère l’ensemble des domaines.
Origines et persistance du mythe
Plusieurs facteurs psychosociaux et culturels contribuent à la persistance de l’idée d’un avantage créatif des gauchers. D’une part, l’« exceptionnalisme gaucher » associe la rareté statistique de la gaucherie à la rareté d’un talent créatif exceptionnel. D’autre part, le « mythe de l’artiste torturé » entretient un lien perçu entre pratiques artistiques, traits psychologiques spécifiques et gaucherie. Se focaliser sur l’art et la musique, qui ne représentent qu’une fraction des métiers créatifs au sens large, accentue cette perception biaisée.
Conclusion
Au vu des données disponibles, aucun avantage créatif généralisé n’est associé à la gaucherie. Les différences mesurées entre gauchers et droitiers ne sont pas statistiquement significatives dans l’ensemble des évaluations et secteurs professionnels, hormis une légère surreprésentation des gauchers en art et en musique. L’explication du mythe repose davantage sur des facteurs culturels et psychosociaux que sur une base scientifique établie.