La professeure Agathe Raynaud‑Simon, présidente du Collectif de lutte contre la dénutrition et cheffe du service de gériatrie, répond à cinq questions visant à clarifier les définitions, les signes, les facteurs de risque et les mesures préventives liées à la dénutrition. Ces éléments sont présentés dans le cadre d’une campagne annuelle contre la dénutrition (semaine du 17 au 23 novembre).
La dénutrition ne concerne que les personnes hospitalisées. Vrai ou faux ?
Faux. La majorité des personnes dénutries vivent à domicile. En France, on estime qu’environ 2 millions de personnes sont concernées, tous âges confondus. Les estimations signalent au minimum 47 000 enfants et 1 million de personnes de plus de 65 ans touchées. À l’hôpital, un enfant hospitalisé sur dix et au moins 30 % des adultes et personnes âgées présentent une dénutrition. L’identification précoce, notamment en ville, est un enjeu majeur car la dénutrition y est souvent sous‑diagnostiquée.
Signes d’alerte : perte d’appétit (repas sautés, portions réduites, diminution progressive de l’envie de manger) et perte de poids rapide ou progressive. Le critère le plus sensible reste la perte de poids : plus de 5 % en un mois, plus de 10 % en six mois, ou plus de 10 % depuis le début d’une maladie.
La dénutrition, c’est une histoire de muscle. Vrai ou faux ?
Vrai. La dénutrition associe perte de poids et perte de masse musculaire. En situation de maladie, l’organisme mobilise davantage les protéines musculaires que les réserves adipeuses pour répondre à ses besoins, ce qui conduit à une sarcopénie — une diminution de la masse et de la force musculaires. Il est donc possible d’être dénutri tout en ayant un poids normal, un surpoids ou une obésité. La perte musculaire aggrave le pronostic des maladies et augmente le risque de complications et de mortalité.
L’évaluation clinique tient compte de trois critères principaux : la perte de poids, la maigreur (IMC) et la masse/fonction musculaires (mesure de la force, vitesse de marche comme indicateur fonctionnel).
Perdre du poids, c’est normal avec l’âge. Vrai ou faux ?
Faux. Bien qu’il soit physiologique de réduire légèrement ses besoins énergétiques avec l’âge, cette baisse d’appétit ne doit pas entraîner une perte de poids significative. À partir de 50 ans, une perte progressive de masse musculaire est attendue, mais la tendance générale est souvent à une augmentation de la masse grasse. Après 65 ans, une perte de 3 à 5 kg constitue un signal d’alerte nécessitant une évaluation médicale et nutritionnelle.
Besoins en protéines : ils sont supérieurs chez les personnes âgées (environ 1 à 1,2 g par kg de poids corporel et par jour) à ceux des adultes plus jeunes (0,8 g/kg). Les protéines d’origine animale (poisson, viande, œufs) présentent une densité et un profil d’acides aminés favorisant l’entretien musculaire ; les protéines végétales (légumineuses) restent utiles dans une alimentation diversifiée.
La dénutrition n’est pas qu’un simple "manque d’énergie". Vrai ou faux ?
Vrai. La dénutrition résulte principalement d’une perte de masse et de fonction musculaires. Manger suffisamment de calories ne suffit pas : il faut un apport protéique adapté et une activité physique pour maintenir les muscles. Certaines maladies entraînent des perturbations métaboliques qui accélèrent la fonte musculaire (maladies inflammatoires, cancer, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire). D’autres pathologies, comme la maladie d’Alzheimer, peuvent provoquer une perte de poids précoce sans désordre métabolique detectable.
Les facteurs contributifs incluent également des éléments sociaux (isolement, précarité), des difficultés pratiques (courses, préparation des repas, autonomie réduite) et la ou les maladie(s) associée(s). Les conséquences habituelles sont une fatigue accrue, une réduction de la mobilité, une baisse des défenses immunitaires, un retard de cicatrisation et une augmentation du risque d’hospitalisation.
Bien mâcher, c’est bien manger. Conserver au moins 20 dents assure une mastication efficace. Vrai ou faux ?
Vrai. Une dentition complète comporte 32 dents ; la capacité de mastication diminue nettement lorsque le nombre de dents tombe en dessous de 20. Avec l’âge, la masse des muscles masticateurs diminue et les muqueuses buccales changent (moins élastiques, cicatrisation plus lente, altération du goût, diminution de la salive), ce qui affecte la mastication, la déglutition et la digestion.
Conséquence : la perte de dents, en particulier des molaires, conduit à privilégier des aliments plus mous et à réduire la stimulation musculaire liée à la mastication. La prise en charge de la santé bucco‑dentaire et l’adaptation de l’alimentation contribuent à préserver l’apport nutritionnel.
Définitions et repères pratiques
- Perte de poids indicative : >5 % en 1 mois, >10 % en 6 mois, ou >10 % depuis le début d’une maladie.
- IMC : <18,5 kg/m2 chez l’adulte indique une maigreur ; seuil adapté à 22 kg/m2 chez les personnes âgées de plus de 70 ans.
- Besoins protéiques : environ 1 à 1,2 g/kg/jour chez les personnes âgées.
- Activité physique régulière et apport protéique adapté sont centraux pour la prévention et la prise en charge.
En cas de suspicion de dénutrition, il est recommandé de consulter un professionnel de santé pour évaluation et mise en place d’un plan nutritionnel adapté.








