La société Lafarge SA et huit personnes physiques sont poursuivies devant le tribunal correctionnel de Paris pour des faits liés à des paiements effectués via sa filiale locale Lafarge Cement Syria (LCS) visant à maintenir l’activité d’une cimenterie située à Jalabiya (Jabaliya), dans le nord de la Syrie.
Contexte et chronologie des faits
Lafarge s’est implantée en Syrie avant l’éclatement du conflit et a engagé des investissements significatifs pour la mise en service de la cimenterie de Jalabiya. Alors que plusieurs entreprises françaises ont quitté la Syrie après le début de la guerre civile, Lafarge a maintenu une partie de l’activité via des employés syriens. Selon l’instruction, l’usine a été partiellement opérationnelle jusqu’à la prise de contrôle du site par l’organisation dite État islamique en septembre 2014.
Des révélations médiatiques ont conduit au dépôt de plaintes en 2016 et à l’ouverture d’une information judiciaire en 2017. Le dossier a été scindé en plusieurs volets : un volet correctionnel relatif au financement d’organisations terroristes et au non-respect de sanctions internationales, et un autre volet relatif à des qualifications plus graves, notamment la complicité de crimes contre l’humanité, qui reste à l’instruction.
Nature et destination des paiements
L’ordonnance de renvoi et des éléments de l’instruction retiennent des versements effectués via la filiale syrienne ayant pour objet d’assurer la circulation des salariés, l’approvisionnement en matières premières et la continuité de l’activité industrielle. Les montants retenus varient selon les pièces du dossier : l’ordonnance de renvoi mentionne un montant global d’environ cinq millions d’euros, tandis que d’autres éléments antérieurs de l’instruction évoquent un chiffrage d’environ 3,1 millions d’euros.
Les paiements auraient transité principalement via des intermédiaires locaux qui négociaient des fournitures et des autorisations de circulation auprès de groupes armés présents dans la zone. Selon les juges, une partie des flux financiers a contribué aux ressources de ces groupes et une autre partie correspond à des achats auprès de fournisseurs opérant sous leur contrôle.
Enquêtes internes et procédure américaine
La maison mère a mandaté des cabinets externes pour conduire des enquêtes internes, notamment Baker McKenzie et Darrois, qui ont identifié des manquements au code de conduite de l’entreprise. Dans une procédure distincte aux États-Unis, Lafarge SA a reconnu des versements et a conclu un accord de plaider-coupable en 2022, comprenant une sanction financière et une pénalité, le montant total de la sanction américaine étant mentionné dans les pièces publiques.
Procédure judiciaire en France et incidents de procédure
L’instruction a conduit au renvoi de la personne morale Lafarge SA et de huit personnes physiques devant le tribunal correctionnel. Le procès a débuté au début du mois de novembre et les premières audiences ont porté sur des questions procédurales, notamment plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la défense et par des parties civiles.
Le tribunal a également relevé une irrégularité de procédure liée à l’ordonnance de renvoi : la période visée par l’ordonnance avait été étendue au-delà de la période initialement visée lors de la mise en examen pour l’un des prévenus, ce qui a conduit le tribunal à renvoyer l’ordonnance au Parquet national antiterroriste pour régularisation et à renvoyer l’ensemble de l’instance. La reprise des débats a été conditionnée à la régularisation par le parquet ; le tribunal a indiqué que, si l’ordonnance était régularisée, la reprise des débats serait fixée sur une période ultérieure.
Plusieurs questions procédurales soulevées par la défense portent sur la portée des éléments issus de l’accord de plaider-coupable conclu aux États-Unis et sur la demande de déclassification de documents d’État. La défense a également mis en cause le rôle de certaines autorités et services dans la gestion du dossier.
Prévenus, parties civiles et enjeux juridiques
Sont renvoyés devant la juridiction correctionnelle la personne morale Lafarge SA et huit personnes physiques, dont d’anciens dirigeants, des responsables de la sûreté et de la chaîne opérationnelle, ainsi que deux intermédiaires syriens, dont l’un fait l’objet d’un mandat d’arrêt international et est jugé par défaut.
Plusieurs dizaines d’anciens salariés syriens et un ensemble d’organisations non gouvernementales se sont constitués parties civiles. Les chiffres publiés dans les sources diffèrent selon les moments de la procédure : des éléments du dossier mentionnent environ 180 anciens salariés syriens constitués parties civiles, tandis que d’autres sources font état d’un total de 241 parties civiles.
Les chefs de poursuite retenus devant la juridiction correctionnelle incluent le financement d’organisations terroristes et, pour certains prévenus, le non-respect de sanctions internationales. Les débats portent aussi sur la qualification exacte des faits et sur l’incidence des procédures étrangères sur la présomption d’innocence des prévenus.
Sanctions encourues
Au titre du financement d’organisations terroristes, la personne morale encourt des sanctions pécuniaires prévues par le Code pénal. Pour les infractions relatives au non-respect d’embargos ou de sanctions internationales, le quantum des peines dépendra du régime légal applicable et du montant retenu par la justice. Les personnes physiques encourent des peines d’emprisonnement et des amendes prévues par les textes.
Observations sur les éléments divergents
Le dossier comporte des éléments chiffrés divergents sur le montant exact des versements retenus et sur le nombre de parties civiles constituées. Des sources judiciaires, des documents d’instruction et des comptes rendus de presse fournissent des chiffres variables. Cette synthèse expose les principaux chiffres tels qu’ils figurent dans les pièces publiques sans trancher entre les différences.
Volets en cours
Un autre volet de l’affaire, relatif à des qualifications pénales plus graves, notamment la complicité de crimes contre l’humanité, reste à l’instruction et n’est pas traité dans la procédure correctionnelle relative au financement d’organisations terroristes.








