Résumé
Le lion ailé placé sur la colonne de la piazzetta Saint-Marc à Venise est l'objet d'une étude portant sur son origine et sa composition. Des analyses géochimiques et des comparaisons stylistiques conduisent à une hypothèse de provenance différente des interprétations antérieures, sans toutefois permettre une identification définitive de son origine, de sa date de fabrication initiale ou des circonstances de son arrivée à Venise.
Description et altérations observées
La sculpture est un lion ailé en métal, fixée au sommet d'une colonne sur la piazzetta Saint-Marc. Son apparence présente des modifications visibles : ailes initiales différentes de celles actuellement visibles, oreilles raccourcies et traces indiquant que la tête portait autrefois des cornes. Le style de la sculpture diffère des conventions artistiques locales attribuées aux périodes présumées de sa mise en place.
Données historiques
La statue est mentionnée dans un document conservé daté du 14 mai 1293, qui signale qu'elle avait alors subi des dommages et nécessitait une réparation. La colonne de granite violet qui soutient le lion serait arrivée à Venise peu avant 1261. Les éditeurs de l'étude indiquent qu'il n'existe pas d'informations établissant de façon certaine la date d'arrivée de la sculpture à Venise, le lieu ou l'atelier de sa fabrication, ni la chronologie précise des modifications qu'elle a subies.
Méthodes analytiques et résultats
Les chercheurs ont utilisé l'analyse des isotopes du plomb, méthode employée en archéologie pour relier des alliages métalliques à l'origine géologique des minerais utilisés. Les résultats indiquent que le minerai de cuivre incorporé dans l'alliage provient du cours inférieur du Yangtsé, en Chine. Ce repérage géochimique diffère des hypothèses antérieures qui proposaient une fabrication locale vénitienne au XIIe siècle, ou une origine en Anatolie ou dans le nord de la Syrie à l'époque hellénistique.
Hypothèse d'un réemploi d'une sculpture chinoise (zhènmùshòu)
Les auteurs de l'étude proposent que le lion vénitien puisse résulter du réassemblage d'un zhènmùshòu, terme chinois désignant des "gardiens de tombe" produits notamment à la dynastie Tang (618–907). Les descriptions et exemplaires conservés de zhènmùshòu présentent des traits comparables à ceux observés sur le lion de Saint-Marc : museau de forme bulbeuse, position latérale des oreilles, plis marqués au niveau du front, ainsi que la présence, dans certains cas, de cornes et d'appendices alaires. Les matériaux originaux des zhènmùshòu conservés sont variés, mais les similitudes morphologiques constituent l'argument principal de la comparaison.
Circuits possibles et hypothèse de transport
Pour expliquer la présence d'un matériau d'origine chinoise à Venise, les auteurs suggèrent un scénario de circulation à longue distance. Ils avancent que des marchands européens présents à la cour mongole au milieu du XIIIe siècle, notamment Niccolò et Maffeo Polo, ont pu acquérir ou transporter des objets depuis la Chine vers l'Occident. Ces marchands fréquentaient la cour de Kubilai Khan vers 1265, ce qui est avancé comme contexte chronologique possible pour l'exportation d'objets. Cette hypothèse implique que la sculpture, si elle est d'origine chinoise, aurait été démontée, déplacée et éventuellement remaniée à son arrivée en Méditerranée.
Limites et incertitudes
Les conclusions restent hypothétiques. L'indication géochimique de l'origine du minerai ne fixe pas à elle seule le lieu de fabrication définitif de la sculpture ni la date de sa production initiale. L'hypothèse d'un réassemblage à partir d'un zhènmùshòu repose sur des similitudes stylistiques et sur la présence d'alliages d'origine lointaine, mais ne constitue pas une preuve formelle d'origine chinoise ni du chemin précis suivi par l'objet.
Publication
Cette interprétation a été présentée par une équipe de chercheurs italiens dans un article publié dans la revue Antiquity le 4 septembre 2025.